Les métamorphoses de la durabilité

Paul Villinski, Butterfly Machine.

Quel est l’objectif des organisations à but lucratif? Le gain. Quel est l’objectif des organisations sans but lucratif? La mission. L’argent est un outil commun, même s’il est utilisé et distribué en différentes manières. Ces deux mondes sont récemment en train d’essayer de se contaminer davantage, et mieux. Ils se rencontrent à mi-chemin (low profit, benefit corporation), ils sont en train de se rapprocher, bien qu’avec prudence.

“Rapprochement ne signifie pas réduction ou ironie : nous sommes dans un univers dans lequel les formes remplissent tous les points de l’espace en changeant continuellement de qualités et de dimensions, et le flux temporel est rempli par une prolifération de récits et de cycles narratifs”.

En empruntant ces mots de Italo Calvino sur Les Métamorphoses d’ Ovide, nous pouvons nous pousser au-delà et dire que les frontières entre profit et non profit sont indistinctes, que les instruments que ces organisations utilisent sont interchangeables. C’est pour cela que nous avons voulu faire une expérience : construire un tableau de bord prospectif sur mesure pour lettera27, un outil qui puisse être testé sur nous, pour le tester ensuite sur les autres et en partager les résultats.

Qu’est-ce qu’un tableau de bord prospectif (balanced scorecard, BSC, en anglais)? C’est Wikipédia qui nous le dit :

Le tableau de bord prospectif (TBP) ou tableau de bord équilibré (en anglais, Balanced Scorecard ou BSC) est une méthode lancée en 1992 par Robert S. Kaplan et David Norton visant à mesurer les activités d’une entreprise en quatre perspectives principales : apprentissage, processus, clients et finances. Le tableau de bord prospectif est appréhendé comme un moyen d’évaluation de la performance, c’est un instrument de contrôle qui a l’objectif de rémédier aux limites des modèles de surveillance traditionnels. Cela traduit aussi les stratégies compétitives en indicateurs de performance en assurant l’équilibre entre les services à courts termes, calculés sur des paramètres financiers, et les facteurs non financiers qui devraient mener l’entreprise à des résultats compétitifs supérieurs et durables dans le temps.

Durabilité est le mot clé. Culture soutenable. Existe-t-elle? Il faudrait. Auto-soutenable, cela semble improbable, mais soutenable oui, il le faut. Et vu que faire les choses tout seul n’est généralement ni efficace ni valorisant, on s’est allié avec d’autres réalités, qui connaissent des et enquêtent avec, d’autres outils, que les notres : Kwantis, une societé specialisée en gestion des risques et optimisation de la performance; Doppiozero, magazine culturel en ligne; CheFare, une plateforme qui sollicite positivement l’impact social d’entreprises et de projets culturels (avec et sans buts lucratifs).

La Fondation Cariplo, encore une fois, a permis de co-financer cette expérience à travers un appel à participation dédié à la culture durable et soutenable, auquel lettera27 a participé avec succès, avec ses partenaires.

Aujourd’hui, un an et demi après avoir démarré, nous pouvons enfin publier les premières lignes directrices à propos de la comunication, de la collecte de fonds, et sur la construction du réseau social et du partenariat avec les médias, et le partager avec toutes les réalités qui ont à cœur ce thème et qui luttent tous les jours en première ligne – mais encore derrière les coulisses du système économique – afin de soutenir la culture, le système culturel, ses maintes déclinaisons éthiques et synésthésiques. Les lignes directrices représentent le premier pas envers un ample processus empirique. Le premier d’une série de récits que nous écrirons avec nos partenaires.

Vous avez bien lu : un an et demi avant de publier les lignes directrices. Certains penseront que ce ne sont certainement pas les temps des organisations à but lucratif, et justement j’ajoute ici – mais la culture ne se mesure pas en grammes, mètres, décibels et autres systèmes de mesure instantanés. Nous mesurons en temps. Temps de sédimentation de la connaissance, d’élaboration des savoirs, d’intériorisation des valeurs… La culture est hétérochronique et hétérotopique…, citant  Simon Njami qui nous rappelle un principe de Foucault : “.. celui qui au sein d’une hétérotopie fait exister une hétérochronie, à savoir une rupture avec le temps réel en y introduisant des espaces-temps multiples”.
La culture est le pont. Et en effet un pont devrait “soutenir”et être “soutenu”. Et surtout cela doit être solide, avoir des bases indestructibles, comme les racines d’un chêne centenaire.

Sustain-Ability – c’est le nom que nous avons donné au projet – et c’est dans cette direction qu’il va : à encourager un modèle d’organisation solide mais fin et fléxible, à améliorer l’habilité de la gestion des ressources, à fournir des outils utiles et simples à utiliser afin de poursuivre le but.

En voie expérimentale : nous continuons à élargir le réseau des opérateurs culturels pour voir ensemble si et comment peut fonctionner cette approche. On dit bien, “ça ne coûte rien d’essayer”.
Nous, on essaye avec conviction.

Tania Gianesin, Directeur exécutif de lettera27

Image: Paul Villinski, Butterfly Machine.

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